Quand se recueillir devient impossible

Se recueillir sur une tombe

Se recueillir sur une tombe

Ce n’est un secret pour personne, l’arrivée préparée ou intempestive d’un deuil est toujours un moment de grande souffrance. A la douleur des familles s’ajoute celle des proches. Il n’existe pas à proprement parler de « hiérarchie de la douleur » en matière de deuil, chacun vit la disparition d’un être aimé à sa façon.

Le recueillement fait partie du processus de deuil. Mais sans lieu de recueillement, est-il seulement possible de réussir à entamer ce deuil ?

Les étapes du deuil

Se receuillir sur une tombe - lieu de recueillement

Se receuillir sur une tombe – lieu de recueillement

Dans le processus de deuil, les funérailles puis le recueillement sont des étapes essentielles. Assister à des obsèques, visualiser le cercueil et son devenir (inhumation ou crémation ) c’est déjà faire un premier pas vers l’acceptation de l’irréversibilité de la mort. Venir se recueillir sur la tombe de celui qui n’est plus est une façon de vivre et d’extérioriser sa douleur tout en acceptant la nouvelle « place » de la personne décédée.

Ne parle-t-on pas d’ailleurs de « dernière demeure » lorsqu’il s’agit d’évoquer une sépulture et un lieu d’inhumation.

La mort aseptisée

Se receuillir sur la tombe

Se receuillir sur la tombe

La mort ne fait plus partie de notre quotidien. Nous pensons y avoir accès régulièrement grâce à ce que nous observons à travers les médias mais c’est pourtant un terrible leurre. La mort, la vraie, celle qui nous touche directement est cachée, éludée, aseptisée.

Il n’y a pas si longtemps, on mourrait encore chez soi et la famille venait veiller le corps du défunt des jours durant.

Le processus de deuil était entamé, la douleur pouvait cheminer et s’extraire lentement pour laisser la place à une prise de conscience de la mort. Aujourd’hui, la quasi totalité des décès se produisent à l’hôpital et le corps disparaît rapidement dans les tréfonds des sous-sols du bâtiment où se trouvent en général les chambres funéraires. Dans les rares cas où la famille opte pour une présentation de corps avant les obsèques, le défunt est passé dans les mains d’un thanatopracteur qui l’a préparé pour l’occasion. N’avez-vous jamais eu l’occasion d’entendre des proches prononcer ces quelques mots avant des funérailles : « on aurait dit qu’elle dormait ».

La mort doit donc ressembler au sommeil. Il ne reste guère que le cercueil et sa fermeture en présence de la famille pour « matérialiser » la mort.

Ces morts qui n’ont plus de corps

Il y a bon nombre de situations pour lesquelles le recueillement devient compliqué, voir pour certaines personnes,  impossible.

Qu’il s’agisse de la volonté propre du défunt ou bien de raisons complètement fortuites, l’absence de lieu de recueillement peut mener au déni, à la non acceptation de la mort.

– Après une crémation, la dispersion des cendres

La crémation est le nouveau choix des français en matière de devenir du corps. Moins onéreuse qu’une inhumation en caveau, la famille n’est pas obligée d’opter pour une conservation de l’urne dans un columbarium ( qui impliquerait l’achat de la concession, d’une case et la pose d’une plaque ) la dispersion reste une solution très prisée.
Quelquefois, il s’agit des dernières volontés du défunt. Immersion des cendres en pleine mer, dispersion dans des montagnes, les lieux sont réglementés, à une distance conséquente de lieux d’habitation. La famille et les proches ne peuvent pas forcément se rendre sur le lieu de dispersion choisi. Il se produit une sorte d’échappée du corps. Comme si celui-ci s’était évaporé. Plus de matérialisation de la mort ( car aucune plaque mentionnant le nom de la personne disparue ) et un risque de voir le lieu de dispersion choisi complètement désacralisé ( tourisme, construction, incendie …)

– Donner son corps à la science

Donner son corps à la science est une démarche extrêmement altruiste.
C’est s’imaginer, à juste titre, que l’on pourra être utile même après sa mort. Chaque année, environ 2600 personnes choisissent de donner leur corps à la science.
Pourtant, si l’on considère cette démarche du point de vue du donneur, qu’en est-il de l’avis des familles ? Une personne qui fait don de son corps à la science organise ce choix de son vivant et sa famille n’a pas souvent son mot à dire. Les facultés de médecine qui récupèrent le corps vont s’en servir pour l’étude de l’anatomie et les restes iront en incinération. Peu d’institutions proposent la restitution des cendres aux familles. La frustration est alors intense. Aucune possibilité d’interagir sur la décision du défunt et le devenir de son corps, aucun lieu personnel de recueillement. Le deuil sans corps des familles de donateur est une réalité un peu trop souvent oubliée par la société.
En 2015, la salle de la coupole du Crématorium du Père Lachaise a accueilli la première cérémonie d’hommage aux personnes ayant fait don de leur corps à la science, en présence des familles des donateurs. L’occasion de partager l’expérience de ce deuil si particulier et de rendre à la douleur sa légitimité.

– Attentats, catastrophes aériennes ou climatiques

En mars 2015, le vol 9525 de la Germanwings effectuant la liaison Barcelone-Düsseldorf s’écrase dans les Alpes du Sud avec à son bord 150 passagers (dont six membres d’équipage). Ce crash aérien fait suite à la manipulation suicidaire du co-pilote Andreas Lubitz. Les corps des passagers sont disséminés au beau milieu des montagnes, les recherches sont extrêmement compliquées, la détresse des familles est sans nom.
En septembre 2001, l’effondrement des Twins Towers, en décembre 2004 le Tsunami au large de l’Indonésie, autant de catastrophes humaines, naturelles ou criminelles, elles ont en commun le fait de ne laisser aucune trace derrière leur passage hormis la peur, la haine, la désolation.
Après de tels chocs, les familles espèrent toujours le retour d’un corps et c’est bien souvent peine perdue lorsqu’ils s’agit d’un crash aérien ou d’un tsunami destructeur.
Le chemin du deuil n’en sera que plus difficile.
Le recueillement s’effectue alors par le biais de monuments, de plaques commémoratives apposées sur les lieux des drames et à l’initiative des familles. Pour avancer, il faut matérialiser le drame, le faire reconnaître aux yeux de la société.

Lorsque l’on pense à l’organisation de ses obsèques et que l’on décide d’écrire ses dernières volontés, il faut avant tout se mettre à la place de ceux que nous aimons et qui nous survivront.

Ce que nous imaginons pratique ou même bénéfique lorsque nous sommes encore vivant, ne sera peut être pas appréhendé de façon positive et légère par nos proches. Et quand nous serons morts, nous ne serons plus réellement concernés par cette problématique.

Pour la famille et pour les proches, l’absence d’un lieu de recueillement peut devenir une source de grand désarroi et retardera, voir même annihilera complètement toute possibilité de reconstruction après le deuil.
Si certaines de ces situations sont le fait du hasard (le cas des catastrophes par exemple) d’autres n’appartiennent qu’à notre décision propre. Autant choisir celle qui ira dans le sens de ceux qui nous sont chers.

Source de l’article « Quand se recueillir devient impossible » :

http://www.crematorium-perelachaise.fr/p_cremation_et_don_du_corps_96.html

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Sophie Farrugia