Grossesse et prévoyance, neuf mois pour y penser

Bon nombre de personnes s’imaginent qu’une grossesse est un moment de grâce. Une parenthèse enchantée de neuf mois où on n’aura l’occasion de ne penser à rien d’autre qu’à de la layette, des peluches, des projets, du rose ou du bleu.

L’annonce d’une grossesse doit aussi s’accompagner de décision en matière de prévoyance. 9 mois pour y penser, ce n’est pas de trop. C’est une réflexion qui s’intègre parfaitement dans un projet parental, dans ce rôle futur de parents.

Assurer l’avenir de ce qui devient  une famille, protéger ses proches, oeuvrer pour une transmission réfléchie, faire preuve de prévoyance alors qu’un bébé n’est pas encore né, ce n’est pas mettre la charrue avant les boeufs. C’est être adulte, tout simplement.

Edouard avait du mal à se lever ce lundi matin. Après un week-end bien chargé en vie sociale, l’approche de la trentaine ne lui faisait certainement pas perdre son enthousiasme d’adolescent lorsqu’il s’agissait de revoir sa bande d’amis et de faire la fête.
Pauline était plus casanière. Du moins c’était par période. Ce week-end là, ce n’était pas une bonne période. Elle était restée tranquillement à la maison pour se reposer.

Mal de crâne, mal au dos, jambes lourdes, nausées et surtout des crampes dans le ventre. Tout défilait sur la liste des symptômes qui vous poussent à garder le lit devant le spectre de la gastro maléfique.

Mais Pauline avait quand même voulu vérifier. Sait-on jamais, si tous ces symptômes n’étaient pas le fruit d’un état beaucoup plus pérenne qu’une gastro ! Un état qui allait durer neuf mois !

Devenir une famille

Edouard vit une petite paire de chaussons trôner nonchalamment sur le rebord du lavabo de la salle de bain. Il se demanda durant une fraction de seconde d’où sortait cette petite chose délicate et minuscule. Quelle est donc la pointure d’un bébé ? Y-a-t-il d’ailleurs une norme de pointure pour un nouveau né ? Son cerveau ne fit qu’un tour. La connexion synaptique avait fait son travail plus vite que prévu. Pauline n’avait pas pu résister, elle venait de lui annoncer sa nouvelle vie, leur nouvelle vie : ils seraient bientôt parents.

Devient-on parent, dès  l’apparition du petit + sur le test de grossesse ou celle des chaussons dans la salle de bain ? Mystère.

Edouard, lui était bien disposé à ne manquer aucun moment de cette grossesse qu’il prétendait fièrement « vivre à deux » devant leurs amis. Il ne voulait rien laisser au hasard. Les mois qui s’écoulaient gentiment voyaient leur relation se transformer en une sorte de collaboration, d’association de la perfection parentale en devenir.

Edouard avait dévalisé tous les rayons de la FNAC, du Yoga pré et post accouchement au traditionnel « j’attends un enfant » de Laurence Pernoud, édition 2018 remise à jour. Il connaissait tout des aliments bons pour la santé pendant et après la grossesse. Il avait mené une étude comparative en matière de soutien-gorge d’allaitement, de couches, de baby-phone, de poussette, de biberons (même si l’allaitement était une évidence pour tous les deux) et de lessive hypoallergénique.

Les listes de naissances étaient déjà déposées, le lit commandé sans oublier le tour de lit, sécurité oblige ! Et puis les cours d’accouchement sans douleur, les rendez-vous chez l’obstétricien, les prises de sang et les recherches de toxoplasmose à cause du chat déjà installé.

Pour la nounou, leurs avis divergeaient. Edouard voulait prendre un congé sabbatique pour s’occuper de son enfant et Pauline pourrait continuer de travailler si elle le désirait. Pauline ne savait pas trop quoi penser et verrait le moment venu, si l’envie lui viendrait de reprendre travail. Tout était envisageable et rien ne pouvait arrêter ces futurs parents plongés dans l’obsession de la perfection. Aucune place pour le hasard dans la gestion de cette grossesse.

Cet enfant était l’enfant de l’amour, du bonheur, la concrétisation d’une vie souhaitée à deux, puis trois, et pourquoi pas quatre ou cinq. Pauline désirait beaucoup d’enfants. Une famille nombreuse et heureuse. D’ailleurs, Pauline souhaitait bientôt déménager. Il fallait impérativement un jardin, plus d’espace pour accueillir aussi quelques animaux, un potager, et des arbres fruitiers. Et puis du calme, surtout du calme pour une grossesse sereine, s’en aller loin de la ville et de l’agitation périmée de leur adolescence. Dans quelques mois ils seraient parents, un petit être deviendrait complètement dépendant de leur bon vouloir. Il était temps de grandir et de faire face à quelques responsabilités.

Entre deux visites chez Bébézen et une liste d’achat finalisée, Edouard était très souvent taquiné au bureau par ses collègues et amis déjà parents, «profite de tes grasses matinées du week-end, quand on devient Papa, ce n’est plus qu’un vieux souvenir», «et sinon commence à mettre des sous de côté pour leurs études supérieures si tu en veux d’autres».

A un mois de la naissance, on lui mettait un peu la pression mais c’était de bonne guerre. Et puis tellement logique finalement. Quand on faisait un enfant, quand on décidait de fonder une famille, n’était–il pas normal de faire preuve de prévoyance ? De penser que nous serions là pour donner le meilleur à nos enfants ? Pourquoi faire des enfants si l’on n’envisageait pas de les élever au sens le plus littéral du terme ?

Edouard rêvait d’un fils diplômé de Polytechnique ou de Centrale, Pauline voulait une danseuse étoile à l’Opéra de Paris.

Quand cela n’arrive pas qu’aux autres

Ce jour là au bureau, Edouard s’extirpa de ses rêves grâce à un mail groupé en provenance du service du personnel.

«Nous vous rappelons qu’une cagnotte de dons est désormais ouverte en ligne sur le site jeparticipe.com (lien direct ci dessous) pour Antonin et Rose (4 et 6 ans), les enfants d’Emmanuel (service production).
Emmanuel et son épouse Angèle sont décédés brutalement le 12 septembre dernier dans un accident de la route entre Toulouse et Agen. Emmanuel et Angèle n’ont pas de frère et sœur, les enfants sont actuellement placés chez leurs grands-parents maternels. Cette cagnotte servira à faire face temporairement aux besoins des petits en attendant que leur situation soit fixée.»

Edouard cliqua sur le lien et fit immédiatement un virement de 500 euros. Une somme complètement hallucinante au regard de celles déjà déposées. Ici 20 euros, là 30 … La cagnotte affichait désormais 2000 euros mais pour lui, ce n’était pas suffisant. C’était quoi 500 euros pour ces enfants qui se retrouvaient sans parents ? Où allaient–ils vivre désormais ? Quel âge avaient les grands-parents ?

Edouard connaissait un peu Emmanuel pour avoir travaillé quelques temps dans le même service que lui. Il se souvenait de son enthousiasme et de son bonheur lors de la dernière grossesse de sa femme. Il lui avait appris qu’elle attendait un petit garçon. «J’ai le choix du Roi» avait-il crié dans les couloirs, une bouteille de champagne à la main pour fêter la nouvelle.

Aujourd’hui, plus de parents, des enfants livrés à des grands-parents sans doutes anéantis par le chagrin. Ils devront faire face au destin de leurs petits enfants. Qu’allaient–ils devenir ?

Protéger, transmettre et ainsi faire preuve de prévoyance

Edouard ressentit d’un sentiment de rage et de détermination. Avait-il vraiment pensé à tout ?
A vouloir courir après la perfection faite père, il en avait oublié l’essentiel. Le rôle d’un parent, sa fonction première n’est elle pas de protéger ses enfants ?

Edouard rentra à la maison retrouver Pauline, ils prirent le temps de discuter, de rechercher, de rédiger. Puis ils passèrent quelques coups de téléphone à la sœur d’Edouard de deux ans son aînée et presque aussi liée que s’ils étaient jumeaux.

«Oui je vous le jure, je m’en occuperai s’il vous arrive quelque chose».

Quelques jours plus tard, une fois toutes les formalités administratives  accomplies sur Testamento.fr,  un sentiment de légèreté flottait dans l’air. Il y avait là deux futurs parents pleinement rassurés quant à l’avenir de leur enfant. Plus rien ne pouvait venir entraver le bonheur de cette aventure qui allait faire d’eux des parents complètement responsables, à défaut d’être parfaits.

Sophie Farrugia