Que faudra-t-il transmettre à nos enfants ?

Que faut-il transmettre à nos enfants ?

Ce qu’il se passe depuis plusieurs jours dans le monde et dans notre pays revêt des allures de blockbuster américain, à mi-chemin entre « Contagion » et « 10 Cloverfield Lane ». Grâce aux nouveaux médias tels que les chaînes d’information en continue ou les réseaux sociaux, nous emmagasinons les nouvelles du monde en temps quasi réel. Il nous est alors très difficile de ne pas se faire aspirer par un climat souvent anxiogène. S’extraire de ce tsunami économico-sanitaire relève de l’impossible. Nous avons besoin de savoir et nous sommes surtout en train de nous interroger. Quelle est réellement notre place dans la société, que va-t-elle devenir ? Que faudra-t-il transmettre à nos enfants une fois ce cauchemar terminé ?

Une situation particulière

Tout peut nous traverser l’esprit. Des théories complotistes saugrenues au pragmatisme absolu. Ou encore un déni bien établi (tout va bien se passer !). il y a pourtant une certitude : chacun de nous ne sortira pas indemne de cette épidémie. Sans avoir forcément été infecté par le virus, parents, enfants, aïeuls, nous allons tous hériter d’une sorte de SPT, (syndrome Post Traumatique) au Covid-19. Ce trauma fera de nous des êtres tour à tour méfiants ou débridés, peut-être un peu plus attentifs à leur santé, peut-être un peu moins râleurs au quotidien.

Nous serons tolérants, ou asociaux, craintifs, hypocondriaques, heureux ou traumatisés. Ce qu’il va réellement se passer, nous ne le saurons qu’au fil des heures qui vont défiler durant ces longues journées de confinement et des jours un peu plus lumineux qui s’en suivront. Nous vivons une situation très particulière, complètement inédite. Nous n’avons aucun repère pragmatique sur lequel nous appuyer.

Il reste une chose sur laquelle il nous est encore possible d’agir.

Dans ce quotidien qui se retrouve modifié pour les mois qui arrivent, dans cet espace-temps entre quatre murs, c’est à notre relation envers nos enfants qu’il faut penser. Notre relation envers l’enfant tout court.

Certes, chacun d’entre nous souhaite transmettre à ses enfants un patrimoine sympathique. Un bel appartement dans une grande ville pour les plus chanceux, avec la petite maison de campagne en Normandie qui va bien. Pour d’autres, ce sera le fruit d’une vie de travail acharné et de remboursements de crédits. L’espoir d’arriver à devenir propriétaire d’un petit bien. « Je veux que mes enfants soient à l’abri s’il m’arrive quelque chose ». Lequel d’entre nous n’a pas entendu cette phrase dans la bouche de ses parents à un moment donné de son existence ? En parents respectables, nous voulons transmettre du patrimoine. Nous voulons imaginer que nos enfants auront ce qu’il faut pour affronter leurs vieux jours. Cela nous apporte certainement un petit sentiment de satisfaction.

Pourtant, dans la cohue de notre quotidien et la volonté farouche de réussir le combo gagnant famille/travail/maison/jardin et chien à la mode, nous avons un peu oublié l’essentiel : ce que nous devrions réellement transmettre à nos enfants. Il n’est pas question d’argent ou de bien. Il est avant tout question de temps, d’attention, de conversations, de rires, de savoir, de respect.

Vers une prise de conscience collective

A l’annonce du gouvernement de fermer les établissements scolaires et les mesures d’application du télétravail, ce fut l’affolement général des familles. Combien étaient-ils sur Twitter à découvrir qu’ils avaient des enfants ? Des messages d’indignation s’enchaînaient. « Je ne vais pas pouvoir tenir », « SOS avez-vous des idées pour occuper des 3-6 ans ? » « Comment faire quand on doit en plus gérer le télétravail ? ». Les montages vidéo, les photos détournées, tout est passé sur Whatsapp, Twitter, Facebook et autre supports utilisés par les parents. Comme une vague de parents paniqués à l’idée de se retrouver en tête à tête avec leur progéniture. Bon nombre de familles se sont imaginées en vacances pour une petite quinzaine.

Promenades sur les quais parisiens ou dans des grand jardins de Province, le retour de bâton n’a pas tardé : confinement quasi total annoncé quelques heures plus tard avec autorisation très limitée de sortie auto-signée. En plus d’avoir des enfants déscolarisés, il nous a été demandé de les garder strictement à l’intérieur, c’est à dire tous en même temps (oui ! Au même moment ! ) avec mari/épouse.

Que s’est-il réellement passé dans la tête de ces parents pour être aussi effrayés à l’idée de passer du temps avec leur progéniture ? Avec leur famille entière ?  Quelle fut la source fondamentale de leur peur ? Etait-ce franchement si infernal que cela d’être parent à temps plein dans une situation exceptionnelle ?

Happé dans un quotidien plaisant et réglé au millimètre près, beaucoup de nos concitoyens ont oublié l’essence même de la fonction de parent : la transmission.

La construction de l’enfant

L’enfant se construit en regardant ce qu’il se passe autour de lui, et en premier lieu, en reproduisant ses parents. Il va se nourrir des actes, des paroles, des gestes qui auront défilé devant ses yeux depuis son plus jeune âge.

Notre rôle de parent est avant tout d’apprendre et de transmettre les fondamentaux à nos enfants. En matière de respect (de soi-même, des autres, de l’environnement proche ou extérieur). En matière de sécurité, de confort, de propreté, de communication. Il ne s’agit pas de déroger à cette règle.

Avec cette mise en avant (et en abîme) soudaine et imposée de notre parentalité (et de toutes les contingences qu’elle suppose !), nous avons peut être pris conscience très violemment de nos faiblesses de parents et de toutes les failles de notre supposé travail de transmission.

Une expérimentation et une opportunité

Faire des enfants c’est une expérience formidable. Elever des enfants et leur transmettre les fondamentaux, c’est un peu plus délicat et pas toujours donné à tout le monde.

Nous voici tous coincés dans un gigantesque laboratoire d’expérimentation sociale qui va certainement repousser nos limites de parents. Il est donc temps de se lancer dans une remise en question au moins aussi historique que la situation que nous sommes en train de vivre.

Le temps est venu pour nous de s »interroger sur ce qu’il faudra transmettre à nos enfants. Transmettre le temps, le rire, la patience et l’énergie, la volonté et la contemplation. Transmettre l’ennui aussi car cela fait du bien de s’ennuyer un peu. La gourmandise, le calme, la nature, le respect du vivant sous toutes ses formes, de la plus petite à la plus grande.Le travail et la nécessité de bien le faire, les obligations auxquelles il ne faut pas déroger.

Et l’envie de transmettre. Donner du temps à nos enfants leur donnera à leur tour l’envie d’en donner lorsqu’ils seront adultes.

Que faudra-t-il transmettre à nos enfants ?

Avec cette crise sanitaire internationale du Covid-19, la question ne se posera plus très longtemps. Nous ressortirons certainement grandis de cette expérience hors du commun. Nous serons plus forts, plus mûrs, plus humbles et espérons le plus bienveillants et plus solidaires. Des valeurs qu’il nous faudra inévitablement transmettre à nos enfants, avant de se pencher sur un quelconque bien financier. On pourra désormais considérer que l’on est prévenu. 

Sophie Farrugia