La Toussaint vient de passer et avec elle le défilé permanent dans les cimetières : massifs de chrysanthèmes, de marguerites ou de cyclamens, il est temps de rendre hommage à nos chers disparus.
Pourtant, tout au long de l’année, certains cimetières ne se contentent pas d’accueillir des occupants pour l’éternité, ils deviennent aussi des lieux de visite au même titre que les musées car ils regorgent de trésors historiques, artistiques, ou architecturaux.
Depuis plus de 20 ans, Thierry Le Roi officie en tant que guide du cimetière du Père Lachaise, reconnu par l’Office de Tourisme de la Ville de Paris, il emmène chaque semaine ses visiteurs dans une promenade incroyable à travers la beauté d’un lieu exceptionnel.
Cette passion du Père Lachaise et de l’art funéraire, elle lui a été offerte par un guide institutionnel du lieu, Vincent de Langlade. Après des décennies à arpenter le cimetière, il a souhaité, au début des années 2000, lui transmettre les « clefs » de ce patrimoine incroyable, comme un héritage, pour que Thierry Le Roi puisse partager ce savoir avec chacun de ses visiteurs.
On peut rire de tout, mais pas avec tout le monde,
Cette célèbre citation de Pierre Desproges, Thierry Le Roi, guide en a fait un peu son cheval de bataille. Chaque week-end, il emmène ses visiteurs à travers un véritable safari d’entre les pierres tombales, au milieu des 44 hectares et des 70 000 sépultures que compte le cimetière. Son auditoire est bien choisi, ces personnes ne se trompent jamais, elles s’apprêtent à rire de tout en compagnie d’un guide dont l’humour est aussi noir que les corbeaux du lieu.
De l’humour noir, il en faut un peu et même beaucoup pour arpenter les pavés du cimetière durant une visite qui va durer presque 3h30, des heures qui passeront à une vitesse indescriptible tant les anecdotes entendues seront passionnantes.
Pourtant, il n’est à aucun moment question d’irrespect. La preuve est là, on peut visiter un cimetière et en ressorti quelques traits d’humour. Tout n’est qu’une question de culture et d’ouverture d’esprit. Pour certaines civilisations, la mort est un moment de joie, de célébration des défunt et non pas quelque chose d’austère et de déprimant.
« Se promener dans un cimetière n’a rien d’inhabituel, il suffit d’observer la population qui transite par le Père Lachaise pour comprendre que ce lieu fait partie intégrante du quartier. Beaucoup de parisiens empruntent ses chemins pour traverser une partie de l’arrondissement tout comme enfant, je le faisais moi-même dans le cimetière de la Miséricorde, à Nantes.
J’ai toujours été attiré par ces sépultures qui se détachaient du paysage funéraire grâce à un buste, un bronze, un médaillon. »
Même si la mort est partout, elle s’exprime ici principalement à travers l’architecture, la sculpture, la gravure, l’histoire, l’art sous bon nombre de ses formes les plus abouties.
Véritable musée à ciel ouvert, il faut simplement se laisser guider et enchanter par cette plongée dans un univers aussi incroyable qu’exceptionnel.
Des V.I.P au cimetière
Thierry vous emmènera voir son maître à penser, Pierre Desproges évidemment, mais aussi Marcel Proust et sa tombe recouverte ponctuellement de madeleines, écouter « Casta Diva » en se recueillant devant la plaque du columbarium où avaient été inhumées les cendres de La Callas, Jim Morrison et ses grilles de protections qui prennent la même tournure que le Pont des Arts en matière de cadenas, chanter Milord devant la tombe de Moustaki, non loin d’Edith Piaf et son voisin Henri Salvador, Chopin, Balzac, Annie Girardot, Victor Noir, le gisant le plus luisant du Père Lachaise, Oscar Wilde et ses rouges baisers, le carré V.I.P de Gilbert Bécaud, Sophie Daumier, Marie Trintignant, Daniel Toscan du Plantier, les mystères de l’Egypte et la sépulture vide de Jean-Louis Sacchet (réplique exacte d’un tombeau égyptien dont le propriétaire est encore bien vivant), les cénotaphes de Molière et La Fontaine (qui de leur vivant ne se doutaient pas une seule seconde que leur « sépulture » servirait à une vaste opération marketing dans l’ultime but de promouvoir l’achat de concession au cimetière qui bien avant leur arrivée se faisait bouder par les parisiens). Un illustre inconnu du commun des mortels, Félix de Beaujour, qui a su de distinguer dans la nécropole en se faisant ériger la sépulture la plus haute (22 mètres) au point le plus culminant du cimetière, c’est-à-dire 80 mètres au dessus du niveau de la mer. Elle est visible de la Tour Eiffel !
Thierry Le Roi, passeur de mémoire
Thierry Le Roi n’est pas un simple guide. Il ne se contente pas d’accompagner son auditoire en leur récitant d’un ton monocorde le laïus habituel correspondant aux pointures V.I.P qui ornent les allées du cimetière. Non, la médiocrité n’est pas son fort et le lieu est tellement incroyable qu’il mérite bien plus qu’un récital basique et insipide.
C’est donc un véritable spectacle que Thierry va proposer à ses visiteurs, tour à tour grave, drôle, émouvant ou tragique, il adapte les histoires et les situations avec tact, humour et pédagogie. Les visiteurs en redemandent, on vient du Japon, du Canada ou du fin fond de l’Aisne pour assister à la visite guidée de l’homme au chapeau. On vient et on revient à chaque escapade parisienne, le temps passe vite, trop vite au point d’en redemander un peu à la fin de la visite, de grapiller quelques minutes en plus, de revenir sur l’anecdote des obsèques de Balzac, sur le nombre de visiteurs qui arpentent chaque année les pavés moussus de ce lieu mythique, ou sur les tarifs des concessions à perpétuité.
Du travail de Thierry émerge une réelle volonté de transmission. La transmission d’un patrimoine funéraire qui n’est pas aussi figé qu’il peut le laisser paraître. A travers ces bronzes, ces visages, ces sculptures, ces mausolées modestes ou démesurés, c’est l’histoire d’une nation toute entière qui défile sous nos yeux. On apprend de la vie en réfléchissant auprès de nos morts. Qu’ont-ils fait pour arriver en ce lieu, Maréchaux de France, peintres ou sculpteurs, écrivains, chanteurs illustres ou un peu moins connus, ils ont passé les époques, les siècles difficiles et ils sont toujours là pour le plus grand bonheur de notre soif de savoir et de découverte.
« Tomber dans l’oubli après votre mort, c’est comme trépasser une seconde fois. Le Père Lachaise est un véritable musée à ciel ouvert et même si l’art funéraire a subit une grande période de deuil avec l’avènement des tombes de granit gris, tristes et impersonnelles, on observe depuis quelques années un changement des mentalités. Les familles décident désormais de personnaliser des sépultures à travers les épitaphes ou la sculpture. L’idée étant que la sépulture soit vraiment dans l’esprit de celui ou celle qui y sera inhumé. Ainsi sur celle d’Alain Bashung, vous retrouverez une partie d’un disque vinyle représentée à même la pierre, sur celle de Mano Solo, une gravure correspondant à l’un de ses albums intitulé « In the garden ».
Parallèlement à ces monuments funéraires érigés après la disparition de leurs occupants, il y a ceux qui décident de construire leur sépulture de leur vivant, à l’instar du facteur Cheval, à Hauterives, qui a bâti de ses propres mains sa chapelle puisqu’il ne pouvait être inhumé dans son « Palais idéal ».
André Chabot, éminent photographe de cimetières et concepteur de monument funéraire a récemment acquis une chapelle au sein du Père Lachaise, non loin de Géricault et d’Alain Bashung. La restauration effectuée, elle offre désormais aux passants le premier QR code du cimetière qui vous apportera toutes les informations sur la sépulture et son histoire grâce au système de flashage par smartphone.
Jean-Louis Sacchet, pharmacien en retraite a quant à lui souhaité reposer dans la réplique d’un tombeau égyptien. Après la pose de la dalle, du sarcophage et de la pyramide, il a lui-même réalisé toutes les peintures qui ornent l’intérieur de la sépulture.
La préservation du patrimoine funéraire est un enjeu culturel, historique, artistique. Même si la mode est aux visites des lieux insolites (les catacombes, friches industrielles) il ne faut pas oublier que ces lieux doivent durer dans le temps pour permettre aux générations futures de découvrir ces endroits incroyablement vivant de par l’histoire qu’ils continuent de nous raconter ».
Merci à Thierry Le Roi pour toutes ces balades « nécro-romantiques »
Lien : www.necro-romantique.com
http://www.dailymotion.com/video/xhnhcm_les-rendez-vous-du-pere-lachaise_creation
Pour assister aux visites de Thierry Le Roi :
Chaque Samedi et Dimanche
Métro Gambetta ligne 3.
Rendez-vous rue des Rondeaux devant l’entrée du Père Lachaise à 10h & 14h.
(Tarif 10 euros, gratuit pour les moins de 12 ans).
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