Interdictions des pactes sur succession future

pacte sur succession futur

L’écrivain Félix-Antoine Savard disait « j’ai beaucoup mieux à faire que m’inquiéter de l’avenir : j’ai à le préparer ». Le préparer certes, mais pas de n’importe quelle manière. Retour sur une disposition souvent méconnue : la succession future.

Pour préparer sa succession, le testament reste l’outil le plus connu, bien qu’il ne soit pas le seul (donations, institutions contractuelles, assurance vie ou décès). Bien qu’il soit possible, en droit français, de faire naître des obligations sur des choses futures, comme une vente en l’état de futur d’achèvement (VEFA) par exemple, le même raisonnement a longtemps été refusé en droit des successions. Ainsi, les pactes sur succession future consistant à régler le sort d’une succession non ouverte autrement que par testament sont interdites.

Toutefois, ce principe strict d’interdiction tend à s’atténuer.

L’interdiction des pactes sur succession future : une dévolution exceptionnelle

Le pacte sur succession future peut consister en deux choses :

  • Il peut consister, pour une personne, à prendre des dispositions irrévocables sur sa succession non encore ouverte par contrat. Le danger ici résulte bien sûr de l’irrévocabilité de ces dispositions. Pour preuve, le testament est à tout moment révocable.
  • Il peut consister, pour un héritier supposé venir à la succession du défunt, à disposer irrévocablement par contrat de ses droits dans la succession non encore ouverte d’autrui.

A l’origine, les pactes sur succession future étaient prohibés parce qu’ils portaient atteinte à la liberté de tester, c’est-à-dire à la liberté de rédiger son testament. Il était donc possible de choisir ses dernières volontés, mais cela pouvait conduire à souhaiter la mort de celui sur la succession duquel le pacte portait.

Le code civil napoléonien reprend le principe de la prohibition afin d’éviter toute spéculation sur la mort d’autrui.

Nombreux ont été les professionnels du droit à appeler de leurs vœux un assouplissement du principe voire son abandon. Finalement, les deux réformes du droit des successions du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006 ont tout de même maintenu le principe de la prohibition tout en y incorporant des exceptions.

 

Pacte sur succession future : les critères de qualification

Voici les critères permettant de reconnaître un pacte sur succession future :

  • il s’agit d’un acte irrévocable, sur lequel on ne peut pas revenir dessus ;
  • l’acte doit porter sur tout ou partie de la succession non ouverte (c’est-à-dire que le défunt n’est pas encore mort) ;
  • l’acte doit porter sur un droit qui n’est qu’éventuel

Ainsi, sont considérés comme des pactes sur succession future :

  • le fait de s’engager à renoncer à une succession alors que celle-ci n’est pas encore ouverte, de même pour l’acceptation.
  • Le fait, pour un héritier de conclure un pacte portant sur des biens qu’il est supposé recevoir dans la succession d’autrui alors que cette dernière n’est pas encore ouverte.  

 

Succession future : les évolutions

L’article 1130, alinéa 2 du Code civil, prévoyant la prohibition des pactes sur succession future disparaît à la faveur de l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats et obligations. À compter du 1er octobre 2016, le nouvel article 1163 du code civil affirme que l’obligation peut avoir pour objet une prestation future, tout en gardant le silence sur les conventions portant sur des successions  futures. L’article 1162 du même code prévoit que les contrats ne peuvent déroger à l’ordre public ; cet article interdit indirectement les pactes sur succession future qui sont considérés comme contraires à l’ordre public successoral (cela signifie que c’est une interdiction absolue à laquelle personne ne peut déroger). Enfin l’article 722 prévoit que les pactes sur succession future sont valables lorsqu’ils sont autorisés par la loi.

Donc malgré ces interdictions strictes, depuis 1804 il existe des exceptions à cette interdiction reconnues par la loi :

  • l’institution contractuelle : appelée aussi donation de biens à venir, insérée dans leur contrat de mariage, elle permet aux époux d’organiser le sort de leurs biens en cas de décès de l’un d’entre eux,
  • la donation-partage transgénérationnelle : est un acte permettant de transmettre et de répartir tout ou partie de sa succession de son vivant, au départ pour certains membres de la famille puis a été étendu à d’autres par la suite.  
  • La clause commerciale : permet aux époux d’introduire dans leur contrat de mariage une clause prévoyant qu’au décès de l’un d’eux, le survivant aura la faculté de prélever des biens de la succession du prémourant. Surtout, elle permet à l’époux survivant de conserver l’exploitation ou le fonds de commerce même s’il ne fait pas partie de la communauté.

Par la suite, d’autres exceptions ont vu le jour :

  • La renonciation anticipée à l’action en réduction est un pacte sur succession future exceptionnellement autorisé.
  • Les libéralités graduelles et résiduelles qui consistent à transmettre un bien à deux ayants droit successifs en deux temps, sont des pactes sur succession autorisés par la loi en ce qu’elles portent sur des transmissions qui restent éventuelles.
  • Le mandat à effet posthume qui il est vrai, au stade la formation du contrat, n’est pas considéré comme un pacte mais qui le devient dès lors que le mandataire accepte sa mission. Ce mandat est un pacte autorisé par la loi alors même qu’il a pour objet de choisir un ou plusieurs mandataires aux fins de s’assurer qu’il accomplira sa mission.
  • Les substitutions fidéicommissaires par lesquelles les père et mère et leurs enfants ou les frères et sœurs et les neveux et nièces chargent enfants/neveux et nièces de rendre les biens donnés aux enfants nés et à naître, représentent de réels pactes sur succession future aujourd’hui autorisés.
  • En droit des sociétés, il existe de plus en plus de clause permettant de prévoir des actes sur la succession d’associés no encore ouverte. Ces clauses dont la validité a été sujette à débat, sont aujourd’hui majoritairement reconnues par la jurisprudence.

En somme, nonobstant une interdiction de principe, de nombreux pactes sur succession future sont aujourd’hui autorisés par la loi, oubliant totalement les finalités de son interdiction : éviter la spéculation sur la mort.