Maladie incurable, le temps des dernières volontés

Don d’organes, un legs pour la vie

le temps des dernières volontés

Quand la maladie est là, quand elle s’immisce dans le quotidien jusqu’à en devenir incurable, alors vient le temps des dernières volontés. Un moment précieux d’échange, de parole, d’écoute. Pour que l’amour soit encore au coeur des derniers instants.

Mathilde était tombée plusieurs fois ces dernières semaines.

On avait l’impression qu’elle ne tenait plus debout. Etait-ce un problème d’articulations ? De la fatigue ? Les vieux reste d’une cheville plâtrée il y a une vingtaine d’année ? Mathilde était un peu épuisée de tomber, de trébucher sur une plaque d’égout ou en descendant un escalier. Elle avait l’impression que le monde se dérobait sous ses pieds.

La retraite n’était plus très loin et elle était bien décidé à mettre à profit cette période nouvelle de sa vie. Petits enfants, voyages, peinture, rencontres … Tout s’annonçait comme un grand changement mais surtout une seconde vie. Une vie où elle pourrait enfin penser à elle. Il était temps,  après des années de travail sans relâche pour mettre les siens à l’abri du besoin. Elle en avait abattu des heures de présence auprès de ses patients. Quelquefois peut être au détriment de ses enfants, de son mari, de sa famille tout entière. Mais ils avaient tous été heureux.

Elle fêterait bientôt avec Jacques ses noces d’émeraude. Quarante années de mariage et de bonheur. Bien sur il y eu quelques orages comme le dit la chanson, mais ils ont tenu bon. Une fille et un garçon sont venus renforcer leur amour. Une famille simple, avec des larmes de joie ou de tristesse, une vie remplie mais certainement pas terminée.

Audrey voulait que sa mère aille passer quelques examens de contrôle. « Ce n’est pas normal de tomber comme ça, on ne sait pas ce qu’il se passe dans ton corps et même si tu es médecin généraliste, tu n’as pas la science infuse. Il y a des spécialises en articulation dans toute la Capitale, tu n’as plus qu’à faire ton choix ».

Mathilde faisait certainement un peu de déni. Aller consulter un spécialiste lorsque l’on est médecin généraliste c’est toujours un peu délicat. Se rendre chez un confrère et ami et l’écouter annoncer une nouvelle pas reluisante, cela ne vaut-il pas mieux de rester dans le doute ? De se casser la figure une fois de temps en temps ou de supporter quelques crampes ? Avec un peu de repos et des anti-douleurs, cela passera.

Les douleurs se sont intensifiées et devant l’insistance de son mari, de ses enfants, Mathilde est allée consulter. Ne pas être en forme devant eux, ne pas s’occuper de ses petits enfants,  hors de question. Il  fallait se soigner.

D’analyses de sang en scanner, de scanner en IRM, de suppositions en vérification, la nouvelle fini par tomber. Comme un couperet, quelques semaines après qu’elle ait enfin bouclé la reprise de son cabinet. C’était la SLA.

SLA comme Sclérose Latérale Amyotrophique, également appelée Maladie de Charcot en raison du neurologue qui l’a démontrée. Cette pathologie neurodégénérative ne laisse qu’un infime espoir à celui qui la contracte. Une maladie qui touche dans 90% des cas la population d’une façon complètement sporadique. Les 10% restant étant sont composés de données héréditaires.

Mathilde n’avait pas le souvenir d’un père ou d’une grand-mère touchés par cette fatalité. Elle se retrouvait donc élue, tirée au (mauvais) sort à 65 ans avec une espérance de vie à plus ou moins cinq années, et la perspective de voir et de sentir ses muscles se paralyser semaine après semaine.

Qui s’imagine finir sa vie de cette façon ? Qui peut encore se projeter dans le futur ? Comment profiter de ses derniers instants quand les bras peuvent encore serrer très fort. Quand la bouche peut donner des baiser. Quand les lèvres peuvent prononcer des « je t’aime ».

Mathilde n’a pas faibli. Etait-ce parce qu’elle faisait déjà partie du corps médical ? Parce qu’elle savait ce qui pourrait ralentir ou soulager un peu son état ? Elle n’a pas baissé les bras avant de décider en pleine conscience de tout ce qui allait se passer une fois sa révérence tirée.

Sa vie avait été belle et organisée, sa mort le serait tout autant. Il fallait évacuer rapidement toutes ces contingences administratives pour que sa famille n’ait rien à penser. Aucune de prise de tête autour d’une succession, d’une assurance vie ou d’un bien immobilier. Pas de temps long à choisir un cimetière, un cercueil et un service funéraire. Sûrement pas de question de dernière minute au sujet d’une volonté non respectée. Non, Elle aimait trop les siens pour leur imposer toutes ces choses qui vous brisent. Ces situations qui vous broient encore plus que le chagrin de la disparition.

Mathilde a anticipé tout ce qui lui était possible d’anticiper, de la couleur du capitonnage de son futur cercueil au style de pâtisseries qu’elle voulait faire déguster lors de sa veillée funèbre. Cela l’amusait presque de rédiger ses dernières volontés. « Tout le monde en blanc » était son leitmotiv, et les cendres, dans la méditerranée, au large des Iles de Lérins, pour rencontrer quelques dauphins.

D’abord effondrés, ses proches ont très vite compris sa démarche. Organiser l’après, mettre sa famille à l’abri des aléas financiers et psychologiques, c’était la seule et dernière preuve d’amour et surtout un combat qu’elle pourrait facilement gagner. Le dernier.

Mathilde a tenu le coup 4 ans, un chiffre honorable pour la SLA . La dégradation emmène 50% des malades vers la mort dans les 3 ans qui suivent le diagnostic de la maladie.

Les 50% restant se dirigeant vers une dépendance extrême et une vie qui n’en est plus une. Mathilde avait prévu cette éventualité en rédigeant ses directives anticipées. La liberté de ne pas se faire réanimer lui appartenait, autant en profiter.

Jacques et ses enfants sont allés au large des Iles de Lérins  un jour de Novembre pour disperser les cendres de Mathilde au milieu des dauphins, ils avaient chacun le souvenir d’une mère et d’une épouse aimante, patiente, généreuse, déterminée et surtout d’une lucidité extrême car en les mettant à l’abri, en prenant soin d’eux, elle avait réussi une dernière fois à adoucir leur vie présente et surtout future.